Prière et fraternité
En ce temps de carême, voici deux points qui peuvent être pour nous des points de conversions, ou en tout cas, d’approfondissement de notre vie chrétienne, deux points qui sont en fait nos deux premiers essentiels : la prière et la fraternité.
1) Le primat de la prière, de notre relation avec Dieu.
Dans "la joie de l’Evangile", le pape François nous donne sa "vision" pour l’Eglise. Dès les 1ères lignes de son exhortation, il nous rappelle cette priorité absolue de la relation avec Dieu. Dans le n°3 du texte, il dit : "J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus-Christ, ou au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse…" Et un peu plus loin, il précise : "La société technique a pu multiplier les occasions de plaisir, mais elle a bien du mal à secréter la joie"… Il ajoute cette phrase extraordinaire, véritablement "ciselée", une citation de Benoit XVI : "A l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un évènement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon, et par là, son orientation décisive" (n°7).
Ce rappel s’inscrit, bien évidemment, dans la continuité de toute la tradition biblique et de l’enseignement constant de l’Eglise depuis 2000 ans.
Dans la bible, ce ne sont pas d’abord de grandes idées générales qui sont développées, mais, à chaque époque, tout commence avec une initiative de Dieu qui vient à la rencontre d’hommes concrets : c’est vrai pour Abraham (Gn.12), pour Moïse (Ex.3), pour les juges et les prophètes (Cf. l’exemple saisissant du prophète Amos (7.14), et pour tous les récits de vocation ; dans le nouveau testament, on pense à Marie et à l’annonciation, à la conversion de St Paul et aux apôtres que Jésus appelle, chacun personnellement, à le suivre… Dans la bible, ce n’est donc pas d’abord l’homme qui cherche Dieu et essaie de le rejoindre, non, c’est Dieu qui, par amour, prend l’initiative de venir à la rencontre des hommes. La foi nait de cette rencontre qui transforme ces personnes et leur ouvre "un nouvel horizon".
Dans le catéchisme de l’Eglise catholique, la 4ème partie s’intitule : "La prière dans la vie chrétienne". Dans l’introduction, le catéchisme précise : "Le mystère de la foi exige que les fidèles en vivent dans une relation vivante et personnelle avec le Dieu vivant et vrai". Il souligne que la prière est d’abord un don de Dieu : "Si tu savais le don de Dieu ! La merveille de la prière se révèle justement là, au bord du puits où nous venons chercher notre eau : là, le Christ vient à la rencontre de tout être humain, il est le premier à nous chercher et c’est lui qui demande à boire. Jésus a soif, sa demande vient des profondeurs de Dieu qui nous désire. La prière, que nous le sachions ou non, est la rencontre de la soif de Dieu et de la nôtre". Et citant St Augustin, il ajoute : "Dieu a soif que nous ayons soif de lui".
La démarche de l’homme, ensuite, est une réponse à cette initiative de Dieu. Elle nous fait entrer dans une relation d’alliance avec lui. Après avoir rappelé comment la prière était au cœur de la vie de Jésus lui-même, le catéchisme développe la prière dans le temps de l’Eglise : "L’Esprit-Saint, qui enseigne l’Eglise et lui rappelle tout ce que Jésus a dit, va aussi la former à la vie de prière" (n°2623). Suivent ensuite de magnifiques pages sur la vie de prière en Eglise et sur le Notre Père. Un très bel enseignement que je vous encourage à lire ou à relire.
Et nous ? Quels petits pas pourrions-nous vivre pendant ce carême pour accorder plus de place, d’attention, à la présence de Dieu dans nos vies et le prier davantage ? Il ne s’agit pas nécessairement de prier beaucoup plus longtemps… quoique…, mais de vivre une relation plus forte, plus vivante avec le Seigneur. A chacun de se laisser éclairer par l’Esprit-Saint… Il est évident qu’on ne peut pas aimer Dieu si on ne lui parle que rarement, si on ne se met pas régulièrement à son écoute, à l’écoute de sa Parole…
2) Le choix de la fraternité (notre 2ème "essentiel").
La fraternité est un thème qui traverse toute la bible. On pourrait développer tout un enseignement biblique qui s’intitulerait : de la fraternité blessée à la fraternité réconciliée. Je n’en donnerai ici que quelques pistes.
Dès les toutes premières pages de la bible, en Genèse 4, c’est le thème central : avec Caïn et Abel, 2 frères, représentant sans doute les civilisations agricoles et nomades, souvent en conflit, comme aujourd’hui encore dans certains pays désertiques… Deux frères dont l’offrande est agréée différemment par Dieu. Caïn en fut très irrité et eut le visage abattu (v.5). Dieu vient alors à la rencontre de Caïn pour éclairer son combat intérieur et lui donner les clés pour le dépasser. Mais Caïn n’écoute pas, ou plutôt, il n’écoute que sa colère. Caïn dit à son frère : "Allons dehors" (v.8). C’est la traduction de la BJ, mais ce n’est pas ce qui est écrit dans le texte original où il n’y a aucune parole exprimée par Caïn. Il est incapable de parler à son frère ! (Abel a peut-être aussi sa part de responsabilité. Lui non plus ne parle pas !) La seule parole de Caïn sera son geste meurtrier ! Les versets qui suivent sont d’une grande profondeur. "Le Seigneur dit : Où est ton frère Abel ? Je ne sais pas, suis-je le gardien de mon frère ? Qu’as-tu fait ? Le sang de ton frère crie vers moi !" Malgré cet acte meurtrier, Dieu poursuit son dialogue avec Caïn. Il ne l’abandonne pas et lui donne même un signe de protection ! La fraternité est blessée… Elle attend son salut…
Un peu plus loin, en Gn.13, c’est aussi la question de la fraternité qui est au cœur de la relation entre Abraham et son neveu Lot. Abraham et Lot deviennent trop riches (C’est la question des biens qui menace la fraternité). "Il y eut alors des disputes entre les bergers d’Abram et ceux de Lot". Le v.8 est le cœur de ce récit : "Abram dit à Lot : Qu’il n’y ait pas de discorde entre moi et toi, entre mes bergers et les tiens, car nous sommes frères". Et Abram va faire preuve d’un esprit de détachement et de liberté remarquable au v.9.
Devant cette attitude d’Abram qui met la fraternité au-dessus de tout appât du gain matériel, et de toute discorde, Dieu semble touché. C’est là, juste après cet événement, que Dieu va renouveler son alliance avec Abram ! Puisque tu mets la fraternité au-dessus de tes intérêts personnels et des richesses, je te donnerai ce pays, et je multiplierai ta descendance, elle sera aussi nombreuse que les grains de poussière du sol !
Jacob et Esaü : une autre histoire de frères…
Joseph et ses frères : la question centrale est encore celle de la fraternité (Gn.37…). "Israël aimait Joseph plus que ses autres enfants, car il était le fils de sa vieillesse… Ses frères virent que son père l’aimait plus que tous ses autres fils, et ils le prirent en haine, incapables de lui parler amicalement" (v.3-4). Ils veulent le tuer. Joseph sera, en fait, vendu par ses frères… jusqu’à ce que Joseph, qui va vivre une sorte de kénose, soit "élevé" en Egypte par Pharaon au rang de grand intendant. Il sauvera le pays de la famine…
Et ses frères vont venir chercher du secours en Egypte pour ne pas mourir de faim. A partir du chapitre 42 se succèdent plusieurs rencontres entre Joseph et ses frères qui ne le reconnaissent pas. Joseph leur fait vivre alors tout un processus de relecture, de prise de conscience de leur faute à travers une pédagogie qui les fait sortir de ce terrible secret de famille pour reconnaitre peu à peu leur responsabilité dans ce qui leur arrive… ceci jusqu’au moment, bouleversant, où Joseph se fait reconnaitre de ses frères et leur accorde son pardon. Et la Genèse s’achève sur ce pardon, tellement inouï, que les frères ont du mal à y croire ! Il va même leur révéler à quel point la Providence de Dieu a su intégrer leur péché dans une œuvre de salut dont personne n’avait conscience au départ : "Le mal que vous aviez projeté de me faire, Dieu l’a retourné en bien pour votre salut" (Gn.50,20)
Dans le nouveau testament, on pourrait dire que la relation entre Jean-Baptiste et Jésus (ce sont des "frères" au sens large du Moyen-Orient), cette relation, c’est "l’anti Caïn et Abel". C’est la "relation fraternelle sauvée". Devant ses disciples qui le quittent pour suivre Jésus, Jean-Baptiste, loin de se crisper et de se laisser gagner par la jalousie, se réjouit ! "Voilà ma joie, elle est maintenant parfaite. Il faut que lui grandisse, et que moi je diminue" (Jn.3,29-30). Quand mon frère est honoré plus que moi, je me réjouis pour lui !
On sait que les disciples de Jésus, tout le temps qu’ils ont marché avec lui, ont cherché à savoir qui était le plus grand… Ils n’étaient pas encore libérés de l’esprit de rivalité. Ce n’est qu’après la mort et la résurrection que Jésus (pour la 1ère fois dans l’Evangile de Jean) les appelle à être "frères" : "Va trouver les frères" dit-il à Marie-Madeleine, "et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père…". C’est une "fraternité sauvée, guérie" par la croix, une fraternité qui se reçoit du Père. C’est la vocation des disciples désormais : vivre en frères, comme Luc le développe dans les Actes des Apôtres : "Ils n’avaient qu’un cœur et qu’une âme. Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux, tout était commun" (Ac.4,32). C’est une relation enracinée dans le Christ, et qui vient du Christ, comme le développera abondamment St Paul dans ses lettres, par exemple en Philippiens 2 : "Si donc il y a quelque consolation en Christ, s'il y a quelque soulagement dans la charité, s'il y a quelque union d'esprit, s'il y a quelque compassion et quelque miséricorde, rendez ma joie parfaite, ayant un même sentiment, un même amour, une même âme, une même pensée. Ne faites rien par esprit de parti ou par vaine gloire, mais que l'humilité vous fasse regarder les autres comme étant au-dessus de vous-mêmes. Que chacun de vous, au lieu de considérer ses propres intérêts, considère aussi ceux des autres. Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ"…
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